jeudi 19 septembre 2013

Détail, Mémoire, Shoah, Naqba, le danger impensé des jeux de mots médiatisés

L'histoire du "détail*" reproché à Jean Marie Le Pen est resté dans les mémoires comme un événement médiatique, entretenu par la pensée dominante comme un objet de diabolisation du Front National dont l'effet s'est bien émoussé, érodé avec le recul et l'épreuve du réel.
L’événement n'a finalement que peu d'intérêt, mais puisque le souvenir en demeure et revient ponctuellement dans les conversations il nous semble utile de voir quelle utilité on peut lui conférer pour assainir son évocation.



Pour le militant patriote de terrain au contact du peuple, il est frappant de constater plus de 20 ans après que non seulement les "thèses négationistes" sont restée dans la marginalité de quelques intellectuels, sans rencontrer les préoccupations du grand nombre, mais que le rapport à la Shoah en tant que référence historique pour une réflexion politique actuelle est désormais bien "métabolisée" comme un acquis de l'histoire commune.
Le fait est et resterait positif s'il n'était assorti d'une contrepartie : sa banalisation, son entrée dans le champs des lieux communs, de l'impensé partagé.

Cela tient évidement au fait que la génération des contemporains du fait historique a presque disparue et qu'en principe, la mémoire à cédé la place à l'histoire.
Cela tient aussi sans doute à l'usage polémique abusif des références à la Shoah, la réductio ad Hitlerum, le point Godwin.
Cela tient enfin à l'aggravation par la criminalisation (loi Gayssot) de tout abord "suspect" de la question qui induit l'idée intimidante d'un dogme officiel, et peut stimuler un réflexe de désir de transgression, d'un "refoulé".

Ce qui nous amène à nous demander si, à l'heure où l'enseignement de l'histoire, générale et nationale en particulier, cède la place à d'autres priorités scolaires, le surinvestissement dans le "devoir de mémoire", érigé en quasi-rituel religieux, ne va pas précisément à l'inverse de la transmission inter-générationnelle.

On peut demander à des jeunes un devoir d'histoire, apprentissage documenté et raisonné, mais leur attribuer une mémoire qu'il n'ont par définition pas, n'est-ce pas les confronter à un échec fatal, leur conférer une affection émotive, une culpabilisation propre à réanimer les passions collectives, à réinsérer dans les problèmes contemporains des facteurs de tension qui ont conduit au pire.

Ce qui nous amène aussi à nous demander si le mot Shoah lui-même ne participe pas de cette ambiguité.

Car pourquoi nommer l'innommable ?
Entre se donner la peine d'énoncer "l'extermination raisonnée, méthodique, bureaucratique et industrielle de la population juive d'Europe par le régime Nazi" et se contenter de prononcer "Shoah", terme hébreux d'érudition signifiant cataclysme, n'y a t-il pas, d'emblée, une différence de posture intellectuelle ?
- L'une est descriptive et a le mérite d'une neutralité qui lui confère une portabilité inter-culturelle, une universalité de la rigueur sémantique
- L'autre est symbolique et procède d'une appréhension religieuse qui, n'étant pas partagée par tous, risque de prendre un tour inattendu, celui d'une valeur médiatique.

On comprend bien que les communauté juives, premières concernées, et leurs institutions aient eu le besoin d'intégrer le fait et ses multiples conséquences dans leurs références culturelles, religieuses, traditionnelles propres, et par suite lexicales.
Tout en leur en reconnaissant la pleine légitimité avec le plus grand intérêt, ne peut-on revendiquer une appropriation parallèle qualifiable de "plus française" dans le cadre d'une pensée nationale ?

Plus le dire autrement, la culture et la langue française associent au moins deux vertus apparemment opposées, logique cartésienne et esthétique raffinée, précision du sens et jeu des connotations ou des assonances, raison et sensorialité.
Pour le non-hébraïsant, le mot Shoah peut sonner au premier abord comme un nom séducteur de jeune héroïne orientale, une invitation au voyage bien éloignée du sujet ! Pourquoi plaire ?
Nous lui reprochons les atouts d'un excellent nom de marque, dont le marketing à étudié et perfectionné les propriétés appliquées à la perception et la mémorisation par le grand nombre. Comme un nom de marque de produit de grande distribution, ne risque t-il pas de devancer dans les esprits le contenu qu'il désigne au point d'en dispenser de la réelle connaissance ? Au point d'être convocable avec le plus grand confort, comme le nom d'un gadget en vogue ou d'un équipement de dernier cri.

- Ce qui corroborerait notre première interrogation sur la validité de l'objectif de mémoire dangereusement substitué à l'objectif d'enseignement de l'Histoire !

- Ce qui expliquerait en partie l'inquiétude réitérée de nos compatriotes juifs sur le sentiment de dilution de la conscience du fait Shoahtique, au moment où émerge en France un antijudaïsme d'essence musulmane, réplique contemporaine d'un antique antijudaïsme chrétien, sur fond de conflit israëlo-palestinien, de Naqba contre Shoah.

Un vocable français aurait déjà le mérite sinon d'éviter les conflits communautaires voire ethnico-religieux, du moins d'éviter la guerre des mots comme guerre des mythes dénoncés, chacun niant la complexité du réel historique de l'autre.

Le danger du négationisme n'est finalement pas le monopole de quelques marginaux, mais un recours réflexe des collectifs communautaires en tension, mal arbitré voire cultivé par une classe politique qui bricole dans un renoncement aux priorités de cohésion nationale.

* Note : Redisons le ici :
La notion de "détail" visait évidement le débat lui-même sur la négation de la technique des chambres à gaz, qui reste oui, un détail bien qu'important, de la connaissance fondamentale sur le fait historique du génocide et ses multiples aspects. On a fait dire à Jean Marie Le Pen l'inverse de sa pensée : c'est donc le négationisme qui est un détail de l'histoire de la 2e Guerre mondiale qui a conduit au génocide.

Ce qui en revanche n'est pas un détail, c'est de recourir à la loi et au droit pénal pour prétendre faire prévaloir l'approche scientifique de l'histoire.
Ce qui n'est pas un détail, c'est d'instrumentaliser un fait de cette ampleur à des fins de concurrence politicienne, d'imposer une réécriture de l'histoire sous une forme faussement mémorielle.

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