mercredi 9 juillet 2014

Pédago-démagogie : Ce n'est pas La Fontaine qu'il faut dépoussièrer, mais votre novlangue cul-culturelle

crédit photo : Paris Normandie
Au Musée de Vernon, une petite exposition de travaux d'arts plastiques réalisés par les enfants de l'Espace laïque vernonnais cotoyaient et agrémentaient, début juillet, celle consacrée à Steinlen. Les réalisations très vivantes et diverses s'articulaient gaiement mais confusément sur le thème de personnages à physionomie animalières.
Le visiteur n'aurait pas perçu, sans la notice affichée, qu'il s'agissait de s'inspirer des fables de La Fontaine. Qu'importe.


Qu'importerait en effet si le "projet" décrit dans la notice, rédigé dans une pure novlangue, ne proposait de "revisiter" et "dépoussièrer" l'oeuvre du fabuliste. Voilà la fraîcheur de l'enfance ramenée à une sinistre phraséologie éculée. On aimerait demander à Frédérique Bernard, plasticienne qui dirigea ces travaux, quelle funeste motivation l'a conduit à user de ces poncifs culturo-pédagogistes qui, pour banals qu'ils sont, n'en sont pas moins chargés de pré-supposés insidieux. 
Essayons de comprendre.



"Revisiter"


Car pour "revisiter" une oeuvre, encore faut-il l'avoir préalablement visitée, découverte, puis s'en être distancié. Revisiter, c'est donc une démarche rétrospective, (ramener au présent un passé antérieur) donc une démarche propre à l'adulte à laquelle, de toute évidence, l'enfant ne peut participer.
Doutons que les enfants, des Valmeux comme d'ailleurs, aient une mémoire nourrie, vive ou lointaine, du Loup et l'agneau ou des Grenouilles qui demandent un roi.
Il s'agit donc implicitement de faire des enfants les intermédiaires de la "re-visite" de La Fontaine opérée par l'adulte, et seulement l'adulte, seul acteur du projet ainsi orienté.

N'y a t-il pas déjà là une inversion du sens de la mission pédagogique ?

"Dépoussiérer"


A l'extrême, on peut se demander si ce n'est pas la psychologie de l'adulte revisitant qui est livrée ici comme modèle à la découverte de l'enfant. Et sa psychologie problématique où s'entre-choquent antériorité du vécu (réminiscence d'un apprentissage) et antériorité historique (patrimoine commun) dans une sorte de règlement de compte qui motive la ré-appropriation d'une oeuvre plutôt que la transmission de sa connaissance.
Ce que le mot "dépoussiérer", induction péjorative, tend à confirmer.

Le patrimoine culturel est ainsi associé à une idée de contrainte, celle de son apprentissage, dont il s'agit de s'affranchir par sa relégation à une antériorité "poussiéreuse" pour "laisser libre cours à l'imagination".

Et cela donne le résultat prévisible : des travaux certes plaisants mais sans cohérence ni rapport avec La Fontaine... (ni avec Benjamin Rabier dont un ouvrage judicieusement présenté en contrepoint de l'expo indiquait la mise en référence parallèle).

Plutôt que dépoussiérer La Fontaine, occupons nous de désintoxiquer l'enseignement et les activités culturelles de cette infection idéologique et verbeuse.

Voir l'article sur Paris Normandie (dont photo ci-dessus) : Laisser libre cours à leur imagination


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